Comprendre les enjeux de la bientraitance, esquisser quelques pistes pour y parvenir : avec ce dossier, nous nous efforçons d’aller vers plus de «bien-vivre ensemble» avec nos aînés.
Bientraitance définition
Mot nouveau, la bientraitance ?
Pas tout à fait ! Le terme apparaît dans les années quatre-vingt-dix. On le trouve notamment dans un rapport concernant les conditions d’accueil dans les pouponnières, réalisé pour le Ministère de l’Emploi et de la Solidarité(1). Au-delà de la condition des très jeunes enfants, ce rapport précisait déjà que la bientraitance des plus vulnérables d’entre les siens est l’enjeu d’une société tout entière, un enjeu d’humanité. Le cadre était posé. La volonté était déjà de vérifier les conditions d’accompagnement des êtres vulnérables ou dépendants : jeunes enfants, personnes en situation de handicap, personnes âgées…
Quelque trente années plus tard, la maltraitance n’est plus tabou, et la bientraitance se voit érigée au rang de priorité nationale. Prévue par la loi d’adaptation de la société au vieillissement, la Commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance est ainsi créée en février 2018.
Car les chiffres disent l’urgence d’agir
L’Alma France(2) estime en effet qu’en France 5% des personnes de plus de 65 ans et 15% des plus de 75 ans, soit 600 000 personnes environ, subissent une forme de maltraitance.
Si ces statistiques précisent bien «une forme de maltraitance», c’est que le phénomène de maltraitance recouvre des situations aussi diverses que complexes. Pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la maltraitance des personnes âgées est «un acte unique ou répété, ou l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime».
A domicile ou en institution, acte isolé ou répété : la liste des formes de maltraitance est longue :
- violences physiques
- sexuelles
- psychologiques
- morales
- négligences
- absence de soins
- tentatives d’extorsion d’argent
En réponse, les pouvoirs publics s’efforcent donc de combattre sur tous les fronts : repérer les situations de maltraitance, faciliter leur signalement, accompagner les professionnels mais aussi les proches aidants, agir en établissement mais prendre aussi en compte le domicile, associer les différents acteurs (institutions, professionnels, associations …). Le champ d’action est vaste, à la mesure du travail à accomplir !
Les Ehpad, premiers visés
Premiers mis en cause dès lors que l’on parle de maltraitance pour les personnes âgés, les établissements spécialisés, à commencer par les Ehpad, ont été amenés à s’interroger sur leurs pratiques.
Si des violences physiques sont rapportées, les négligences et absences de soins sont tout aussi dramatiques. Comme par exemple repas servis froid, mauvais suivi médical, manque d’hygiène, isolement… Ces mauvais traitements contribuent en effet à l’affaiblissement physique et psychique des seniors.
Ces dysfonctionnements ont des causes multiples :
- manque de personnel
- épuisement des professionnels
- manque de soutien dans leur mission d’aide envers les personnes âgées
- problèmes organisationnels
- etc.
Des actions pour y remédier
Face à ce sombre constat, les établissements s’efforcent désormais d’aligner vers le haut leurs pratiques. Si certains sites sont plus spécialement surveillés par l’ARS (Agence Régionale de Santé) en raison de signalements passés, nombreux sont les établissements qui mettent en place des actions pour y remédier.
Pour ce faire, les exemples de bientraitance sont recensés, le personnel est formé à l’attitude bienveillante et aux comportements positifs de respect. Différentes initiatives sont ainsi prises pour instaurer des conditions de vie favorisant le bien-être. Une charte peut également être élaborée pour mieux garantir bons soins et respect de la dignité des seniors. Il s’agit à la fois de se centrer davantage sur l’écoute du résident mais aussi d’accompagner les professionnels qui œuvrent dans des conditions difficiles et sont souvent au bord du burn-out.
Bon a savoir : différents établissements d’hébergement pour personnes âgées engagent des processus de labellisation RSE (Responsabilité Sociétale de l’Entreprise) avec l’accompagnement d’un cabinet indépendant (Veritas ou Vigeo Eiris pour le label Lucie 26000). Le label est attribué pour une durée limitée et son renouvellement est soumis à des marges de progrès. Au-delà de l’effet d’annonce, la labellisation implique donc un véritable engagement.
Maltraitance familiale trop souvent ignorée
Moins médiatisée, plus difficile encore à détecter, la maltraitance dans le huis-clos du domicile existe pourtant bel et bien. Selon les statistiques du 3977(3), le numéro d’appel national qui permet de signaler les cas de maltraitances, environ 70% des cas de maltraitance ont lieu à domicile (par un proche, membre de la famille, ami ou voisin). Dans près de la moitié des cas, le maltraitant fait partie du cercle familial (enfant ou conjoint).
Ces cas de maltraitance familiale ont souvent des caractéristiques communes. La maltraitance n’est en général découverte qu’au bout de plusieurs mois, voire années. En effet, la personne âgée hésite ou ne peut pas dénoncer cette situation. Il est fréquent en effet que la personne maltraitante soit un membre du cercle familial ou amical. Car faute de répit, de nombreux proches aidants se sentent épuisés par cette relation permanente d’aide, voire même dépossédés de leur propre vie. Les reproches et rancœurs s’accumulent. Il peut arriver alors que le comportement bascule et que la maltraitance s’immisce dans le quotidien. Si l’on peut expliquer a posteriori ces situations, on ne peut en aucun cas les justifier.
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Vigilance, patience et bienveillance
Des conditions indispensables à la bientraitance. A domicile ou en établissement, la bientraitance va donc viser à assurer le meilleur accompagnement possible de la personne âgée. C’est-à-dire prendre en compte au mieux ses besoins et demandes, et respecter ses choix.
Différentes attitudes « positives » s’inscrivent dans cette démarche : laisser la personne âgée réaliser ce qu’elle peut faire encore, l’associer le plus possible aux décisions qui la concernent (choix du menu, rendez-vous médicaux, etc), prendre un temps – même limité – pour l’écouter, ne pas l’infantiliser (pas de surnom, pas de ton trop familier), favoriser la participation à des activités qui contribueront à créer du lien social…
Entre l’attention et l’excès d’empathie, la frontière est parfois ténue. Conscient des difficultés rencontrées par les aidants, un dirigeant d’un groupe de résidences services pour seniors témoigne :
« Je répète à mes salariés qu’ils doivent trouver la juste distance. Ce qui est fait pour un résident doit pouvoir être fait pour les autres. La juste distance est d’autant plus nécessaire que lorsqu’un décès arrive, il faut que le personnel puisse se protéger. Notre mission est d’accompagner au mieux, dans la dignité et la chaleur, nos résidents ».
Là est le véritable enjeu de la bientraitance : que chacun trouve sa juste place, personne vulnérable ou aidant, pour un vivre ensemble dans la sérénité. La fin de vie nous invite à une nouvelle leçon de vie très personnelle.
(1) Comité de pilotage de « L’opération pouponnières ». L’enfant en pouponnière et ses parents. Conditions et propositions pour une étape constructive. Paris: Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, La Documentation Française, 1997.
(2) ALMA (Allô Maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées), fait partie des associations regroupées dans le 3977
(3) 3977, c’est le numéro de la Fédération contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés. Numéro d’appel national unique et gratuit. Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 19h.